Avis consultatif de la CIJ clarifiant les obligations des Etats en matière de lutte contre le changement climatique
- Green Rights Coalition
- 5 août
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Dans une décision sans précédent, la Cour Internationale de Justice (CIJ) a affirmé que les droits humains, y compris le droit à un environnement propre, sain et durable, constituent le fondement des obligations des États en matière de lutte contre le changement climatique.
L'avis consultatif a été rendu le 23 juillet 2025 d’après une demande de l'Assemblée générale des Nations unies dans une résolution 77/276, adoptée le 29 mars 2023. Les questions posées par l'Assemblée générale à la CIJ étaient les suivantes :
(a) Quelles sont les obligations des États en vertu du droit international pour assurer la protection du système climatique et d'autres éléments de l'environnement contre les émissions anthropiques de gaz à effet de serre envers les États et les générations présentes et futures ?
(b) Quelles sont les conséquences juridiques de ces obligations pour les États qui, par leurs actes et omissions, ont causé un préjudice important au système climatique et à d'autres éléments de l'environnement, en ce qui concerne :
(i) les États, en particulier les petits États insulaires en développement ?
(ii) les peuples et les individus des générations actuelles et futures ?
En réponse à la question a), la Cour internationale de justice a abordé les obligations juridiques des États en matière de protection du système climatique en vertu du droit international :
Source du droit :
La Cour s'est appuyée sur l'ensemble du corpus du droit international tel que mandaté par l'AGNU, et a identifié les obligations découlant des principaux traités en matière de droit de l’environnement et du droit coutumier.
Obligations découlant des traités sur le climat :
La Cour a identifié les obligations des États parties de garantir la protection du système climatique, qui comprennent d'autres obligations découlant de la CCNUCC, du protocole de Kyoto et de l'accord de Paris, telles que :
- L'obligation de contribuer à l'atténuation et à l'adaptation selon leur obligation de vigilance,
- L'obligation de préparer et de mettre en œuvre des mesures pour atteindre l'objectif de limitation du réchauffement climatique à 1,5 °C au-dessus des niveaux préindustriels prévu par l'Accord de Paris,
- L’obligation de coopérer, notamment par le biais d'une aide financière, d'un transfert de technologies et d'un renforcement des capacités.
Obligations en vertu du droit international coutumier :
La Cour a estimé que le droit international coutumier (DIC) impose aux États l'obligation d'assurer la protection du système climatique et d'autres éléments de l'environnement contre les émissions de CO2. La Cour fonde cette obligation sur le devoir coutumier de prévenir tout dommage important à l'environnement, mais aussi sur le principe des responsabilités communes mais différenciées. La Cour a précisé que les obligations découlant des traités et du CIL conservent une force juridique indépendante, mais doivent être interprétées de manière cohérente. Les traités sur le climat et le DIC s'inspirent mutuellement.
Ainsi, les États qui ne sont pas parties aux accords sur le climat peuvent néanmoins être liés par les obligations du DIC façonnées par le régime des traités climatiques et ils ont la charge de prouver leur conformité.
La reconnaissance des droits de l'homme
La Cour reconnaît que le droit à un environnement propre, sain et durable est indispensable à la jouissance des autres droits de l'homme. Le changement climatique menace considérablement les droits à la vie, à la santé, à l'alimentation, à l'eau et au logement, touchant particulièrement les groupes vulnérables
En réponse à la question b), la CIJ a clarifié les conséquences juridiques pour les États qui manquent à leurs obligations en matière de climat, fournissant des informations clés sur l'attribution, la causalité et la portée de la responsabilité des États en vertu du droit international.
Responsabilités des États en vertu du droit international coutumier :
La Cour a rejeté l'argument de la lex specialis et a déclaré que les traités sur le changement climatique n'excluent pas l'application d'autres règles du droit international et a affirmé que les règles générales de la responsabilité de l'État en vertu du droit international coutumier s'appliquent.
L'attribution des actes illicites suit le droit international établi :
Les actes ou omissions de tout organe de l'État sont imputables à l'État. Les actes ou omissions, tels que l’absence de mesures législatives ou réglementaires pour limiter les émissions, y compris de régulation des acteurs privés, constituent un manquement aux obligations. L'acte illicite ne réside pas dans les émissions de GES en soi, mais dans le fait que l'État n'a pas fait preuve de la diligence requise pour protéger le climat.
Spécification de la causalité
La Cour reconnaît les difficultés liées à l'établissement d'un lien entre le comportement d'un État et les dommages climatiques, mais a adopté le critère juridique de l’existence d’un « lien de causalité suffisamment direct et certain » entre l’action ou l’omission fautive et le dommage, l’estimant suffisamment souple pour prendre en compte les effets cumulatifs et transfrontaliers des conséquences des changements climatiques.
Par conséquent, pour tenir un État responsable, un autre État doit suivre deux étapes :
- Établir si un phénomène climatique est imputable au changement climatique anthropique (établi par une évaluation scientifique générale).
- Déterminer dans quelle mesure le dommage est imputable au comportement d'un ou de plusieurs États (évaluation juridique).
Les contributions cumulatives de plusieurs États n'excluent pas la responsabilité individuelle. Chaque État lésé peut invoquer la responsabilité d'un ou de plusieurs États responsables.
Obligations erga omnes des parties
Un autre point important est que, puisque tous les États ont un intérêt commun à protéger les biens communs environnementaux (tels que l'atmosphère et la haute mer), la Cour considère que les obligations des États de protéger le système climatique et d'autres éléments de l'environnement contre les émissions anthropiques de gaz à effet de serre constituent des obligations erga omnes, c'est-à-dire qu'elles s'appliquent à tous les États. Les obligations découlant des traités ont également un caractère erga omnes partes, ce qui confère à tous les États parties un intérêt juridique à respecter les engagements fondamentaux en matière d'atténuation.
Conséquences juridiques
Les États responsables doivent :
- Cesser tout comportement illicite et adopter des mesures pour empêcher qu'il ne se reproduise.
- Fournir des assurances et des garanties de non-répétition, le cas échéant.
- Utiliser tous les moyens disponibles pour réduire efficacement les émissions de GES.
- Bien que la restitution (rétablissement du status quo ante) soit souvent impraticable en cas de dommages environnementaux, elle peut inclure la restauration des écosystèmes lorsque cela est possible. Dans le cas contraire, les États peuvent être tenus de verser une indemnisation, même si le calcul des dommages causés au climat reste complexe.
Au cours de la procédure devant la CIJ, 91 déclarations écrites et 62 commentaires écrits ont été déposés par des États et des organisations internationales et transmis à la Cour. Il s'agit du niveau de participation le plus élevé de l'histoire de la Cour.
La Green Rights Coalition a eu l'occasion de transmettre à la Cour un Amicus curiae signé par de jeunes volontaires de plus de 34 pays différents.
Dans cet Amicus curiae, la Green Rights Coalition a invité la Cour à reconnaître la valeur juridique des droits environnementaux, y compris les droits des générations présentes et futures et le droit à un environnement sain, et à fonder les obligations climatiques des États sur ces droits humains.
L'avis consultatif, par sa reconnaissance historique des droits environnementaux, fait écho aux arguments avancés dans l'amicus curiae de la Green Rights Coalition et se positionne, aux côtés de la CEDH et de la CIDH, en faveur de l'intégration des droits humains dans la gouvernance climatique mondiale.
Cet avis constitue une étape importante dans la clarification des obligations des États et l'intégration des droits humains environnementaux au cœur de la justice climatique.
Comme l'a déclaré la Cour, le droit international, bien qu'essentiel, n’est qu’un volet de la réponse nécessaire à la crise climatique. Relever ce défi sans précédent nécessite une coopération mondiale et une détermination collective de la part de l'humanité.
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